Préface au PDIJ

PRÉFACE

de Pierre-François Kerguedran*

J’ai eu connaissance de l’existence de JudokA lorsque je dirigeais la collection des « Thèses insoutenables » aux « Presses Universatiles de France ». J’avais monté ce projet après l’échec de ma soutenance de Doctorat portant sur « le savoir et le faire : rien ne se sait, tout se sert ». Convaincu que les travaux les plus improbables étaient...

...sûrement aussi les plus féconds en dépit du dénigrement universitaire et de la presse spécialisée, j’avais permis la publication dans cette nouvelle collection des « Curiosités Prestigieuses de la Bibliothèque Nationale Ouzbèque », des « Dialectiques Pré-Somatiques du Voile-Dévoile du Prude. Une autre histoire du 16ème Siècle » ou encore du « Code Déontologique de la Gastro-entéro-thérapie chez les adolescentes de moins de 16 ans». Chacune de ces sommes, qualitativement inégales mais toutes menées avec le souci de l’exhaustivité, put ainsi rencontrer son public, certes confidentiel, mais averti et fidèle. Je ne sais si Hugues de Fonsignac, à l’époque éditorialiste pour « Melomania » avait projeté de me faire découvrir JudokA pour qu’ils intègrent cette nouvelle collection. Nous n’avons pas eu l’occasion de revenir ensemble sur les motivations qui l’amenèrent à me faire écouter le groupe pour la première fois. Je me rappelle que nous étions lui et moi à un dîner mondain donné sur la Rive Gauche de Paris pour la sortie du dernier album de Christophe Ramhé, intitulé « Je ne veux pas for ever que tu partes ». Nous nous ennuyions à mourir. Non que la musique me déplût, mais à vrai dire, nous éprouvions des difficultés à nouer des contacts avec les sommités de l’assemblée, quelque peu compassée, ainsi qu’avec l’entourage du chanteur, frelaté et rompu aux courtisaneries d’usage. Avec quelques bulles, Hugues me mena à l’écart et me somma de mettre sur mes oreilles le casque de son MP3. Je me rappelle avoir écouté trente secondes et, perplexe, pour ne pas dire incrédule, lui avoir lancé un sentencieux : « C’est une plaisanterie ? ». Ce à quoi il m’avait répondu, l’air mi-amusé, mi-frondeur : « Vraiment ? »

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Je ne revis Hugues que quelques mois plus tard. Entre temps, il m’avait fait suivre l’article qu’il avait écrit sur les JudokA, dont je retranscris ici un court extrait : [le deuxième album de JUDOKA repose sur une base de guitares tziganes renouvelées et électro-folk. Sur cette base, le groupe invite à toutes les formes de voyages vers « l’Ouest ». L’Ouest des contrées géographiques (à écouter le titre « Clint Yul & Tom» pour son réalisme poétique et brutal) et l’Ouest des contrées psychiques, toutes deux insoumises, rebelles et impérieuses (à écouter l’ensemble vocal des trois voix mêlées distillant un savoureux mélange de tous les aspects de la virilité d’aujourd’hui : voix ténébreuse et ronde, voix de tête et perchée, voix de scansion et d’alarme). Comme le rappelle JUDOKA, c’est en ce sens que le deuxième opus est aussi, in fine, « l’histoire du phallus droit ». Notre préhension sur le monde, envers les autres, envers soi-même. Album mythique qui, par essais et erreurs, nous amène à tâtons vers une mystique mâle et profonde. JUDOKA ose la question des conquêtes identitaires qu’il reste à entreprendre. Et si, à l’ouest de ce que nous sommes, dans la virilité consciente de la masculinité, ne subsistait pas la question d’un voyage vers la « déconstruction sexuée » ? Musical et métaphysique, JUDOKA est à découvrir…]. Je reconnaissais bien là la verve éditoriale de Hughes, qui avait fait de lui un journaliste adulé de « Melomania », toujours friand d’emphase. Pour autant, un tel engouement, si soudain et spontané, venant de lui – surtout venant de lui, devrais-je dire - ne manquait pas d’ajouter à la curiosité qu’avait suscitée notre première rencontre. Sur le champ, je téléphonai à Hugues pour lui demander de me faire parvenir quelques morceaux du groupe ainsi que leur rapide biographie. Je tombai malheureusement sur sa secrétaire qui m’informa que « Monsieur de Fonsignac » était absent pour plusieurs semaines car il suivait la dernière tournée des « Pixels ». Comme j’insistai, elle me fournit, un peu contrainte, un numéro de téléphone en précisant qu’il s’agissait du seul contact dont la revue disposait pour les JudokA. Il fallait que j’appelle un dénommé « Ju », mais pas avant 22 heures, et encore, jamais le jeudi, jamais le vendredi, jamais le week-end, éventuellement le lundi, mais ça dépendait du week-end ou éventuellement le mardi, mais ça dépendait du mercredi qui suivrait.

« Ju ? » Qu’est-ce que c’était que ce truc pré-pubertaire ? Un nom de code ? Je m’imaginai assez rapidement que j’allais me retrouver confronté au leader d’une bande d’attardés, pas complètement remis des Seventies et du groupe Magma, avec ce sentiment étrange d’aller à la rencontre d’une communauté adulescente et désagréablement sectaire.

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Allo, j’aurais souhaité parler à… « Ju » ? Je suis Pierre-François Kerguedran des P.U.F. Je suis un ami de Hugues de Fonsignac.

« Dupuf » c’est la particule de votre nom ? J’adore…

Non, non. Mon nom à moi c’est Kerguedran. Je travaille aux P.U.F…

- Ah ouais…Dommage.

Je vous disais que j’étais un ami de Hugues de Fonsignac.

- J’aime moins.

Excusez-moi ?

De Fonsignac… j’aime moins. Alors que Dupuf, ça claque, non ?

Vous ne trouvez pas ?

Si, si, sûrement… Mais, pour vous dire le fond des choses, ce n’est pas vraiment pour discuter d’étymologie que je vous appelle, euh …« Ju », c’est bien ça, c’est comme ça que vous vous appelez ?

Eventuellement.

Vous êtes bien le leader de JudokA ?

Non.

Comment ça, non ?

Non. Je suis « Ju ». La première syllabe de Judoka, quoi.

Il n’y a pas de leader ?

Non.

Vous êtes sur un fonctionnement prétendument anarchiste, c’est ça ?

Non. On est sur rien qui se finit en « iste » ou en « isme ». L’anarchité à la rigueur…

- « Ju », je peux être franc avec vous ?

Je préfère.

C’est parce que c’est l’heure à partir de laquelle vous êtes complètement défoncé qu’on doit vous appeler après 22 heures ou vous êtes dans votre état normal, là ?

Parce que je peux rappeler si vous voulez…

« Ju » ???

« Ju »???, vous êtes où mon vieux ?

Dîtes-moi Dupuf, vous savez jouer d’un instrument ?

Euh…pas vraiment, non.

Vous avez bien une voix, Dupuf ?

Naturellement, mais…

Vous n’avez pas un vieux tambour qui traîne, un jouet d’enfant, un orgue…

Si, j’ai peut-être un vieux bongo…

Le bongo : j’adore… Il y a une session JudokA en fin de semaine. Ca vous dit Dupuf ?

Comment ? Mais enfin je ne sais pas jouer moi, je… »

 

Et c’est comme ça que je me suis retrouvé avec les JudokA.

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Depuis le temps où j’ai rejoué du Bongo en session, JudokA a composé pas moins de trente albums. Oublié Pierre-François, je suis resté Dupuf. J’ai appris que c’était judokéen comme nom. J’ai porté des lunettes en impros. Je suis passé à la guitare, à la basse, aux claviers. Et je suis devenu un adepte du dézipage. C’est un peu de cette histoire, initiatique et expérimentale, que le « Petit Dictionnaire Illustré de JudokA » rend compte aujourd’hui, en reprenant un à un les mots que JudokA a mis sur sa musique.

Avec un peu d’appréhension, j’espère ne pas en avoir trahi l’esprit. De toute façon, JudokA, comme chacun sait, « ça s’entend moins quand on l’écoute ».

Mais ça peut bien se lire quand même.

 

Pierre-François Kerguedran

Directeur de la collection « Les Thèses Insoutenables »

Les Presses Universatiles de France

 

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