Live in Tokyo (loc.jdkl.) : 5ème album du groupe JudokA. Association de chansons françaises épurées et d’ambiances électro-urbaines alternant nervosité, douceur, vapeur et déferlement. Phare dans la discographie de JudokA.
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CRITIQUE DE "LIVE IN TOKYO" PAR PIERRE FRANCOIS KERGUEDRAN (Melomania, 41)
Ce n’est pas un hasard si JUDOKA a choisi, pour son 5ème album, de se référer à Tokyo, laquelle, entre toutes, symbolise aussi bien l’effervescence que la méditation. Tokyo reste aujourd’hui un espace vierge, sorte d’Eden contemporain, où toute innovation paraît possible. Il émane de cette ville un sentiment d’éternelle jeunesse à la fois exaltante et rafraîchissante. Il est écrit que « la jeunesse est un paradis une fois qu’on sait qu’on la perdue ». Après « Retour sur Terre » qui nous avait ramenés à la poussière, JUDOKA propose son « Live in Tokyo » et c’est probablement avec cette jeunesse, naïve et insouciante, inspiratrice et sans limites, que le groupe ose renouer. Il semble que JUDOKA ait souhaité « re-trouver » ce que sensiblement il ne souhaitait pas perdre. Et qu’aurait-il eu à perdre ? Remontons « la vague » de ce 5ème album qui nous ouvre les portes de ce que nous avons tant aimé re-trouver chez JUDOKA. Tout d’abord cette formidable volonté de jouer, plaisir rageur et électrique, sans tension, dont « Dark Side on The Earth » fut la première et plus belle expression. Il est impossible d’écouter « Welcome in Tokyo », « Groove in Eb », « la vague » ou encore « Fuji Yama » sans succomber à l’énergie de Jérôme, qui insuffle à ces extraits une joie engageante et communicative. Le jeu de Julien est, sur ces titres, tout en finesse et en volutes, libérant des archivoltes musicales que l’on suit comme si l’on devait se frayer un passage au cœur d’un club nippon. Et quelles lancinances ! La basse de « Fuji Yama » pourrait se répéter à l’envi sous les quelques accents toniques de Jérôme. Entêtés, nous aimerions ne plus jamais nous arrêter de tourner sous les lumières stromboscopiques des buldings, que l’on devine, dans la nuit, massifs et étincelants. A « Fuji Yama » succède « Eté 2010 », qui est une ode, sorte d’histoire éphémère, enivrante parce qu’elle ne dure qu’un instant, comme une rencontre et comme la séduction. Elle stygmatise ce que l’on ne souhaiterait jamais perdre de « Côte Ouest ». Un jeu plus sobre, avec une rythmique plus souple et un gimmique de Dominique épuré, qui sonne seulement pour appuyer et enrichir la voix de Jérôme. Jérôme ? Une révélation. Après quelques essais sur les opus précédents, on découvre une voix libérée qui porte un texte puissamment évocateur et narratif. C’est alors que survient cette lente respiration qu’est «Okinawa Beach ».JUDOKA nous invite en dehors des murs de la ville. Nous quittons tranquillement Tokyo, comme à l’arrière d’une berline noire aux vitres teintées, allongés et sereins, les yeux perdus dans les étoiles au-dessus des tours. Nous arrivons, la nuit, sans inquiétude, sur une plage où nous sommes seuls. La mer déverse un flot d’écumes mauves. Le vent souffle à travers une végétation qui embaume de doux parfums, délicatement sucrés. L’air est humide et chaud. Le groupe chante alors ce que l’on aimerait rêver avec eux : des bateaux éloignés sur une mer étale, des feux qui se consument lentement sur le sable, ou encore des corps qui se dénudent dans l’eau fraîche. Leur voix est unique et communiante. Elle dit toute l’innocence d’une rêverie évanescente. Et jusqu’où porte alors la rêverie de JUDOKA ? Comme avec « Helium », elle nous déplace hors du temps et nous transporte au plus près de l’intime. « Okinawa », « Power of Shiatsu » sont des subtiles évocations « de ce qui auraient pu être si nous n’étions pas, toujours et malgré nous, désespérément nous-mêmes », se plait à penser Dominique. C’est pourquoi, à mesure que se déroulent les heures de la nuit, nous aimons, avec JUDOKA, passer sans heurts du rêve à la nostalgie et de la nostalgie à la mélancolie. « Parce que c’est l’été » en est, à n’en pas douter, la plus aboutie des illustrations. Ce titre impose avec simplicité une délicate élégie, tout en sensibilité et d’une étonnante candeur. Alors, aprèscela, le quatrième album serait-il définitivement perdu ? Pour ce qui est de « Retour sur Terre », nous sommes convaincus que c’est encore JUDOKA qui en parle le mieux, si l’on en juge par leur surprenant debriefing de fin d’album. Aussi, à l’écoute de ce 5ème opus, nous viennent seulement quelques vers qui semblent résumer au mieux notre sentiment. Il y a plus d’un siècle, Rimbaud écrivait, à propos de la jeunesse, cette sentence symbolique et intemporelle qui ne saurait mieux convenir à « Live in Tokyo » : JUDOKA, « Elle est retrouvée – Quoi ? – L’éternité ! »
POSTFACE A LA CRITIQUE DE "LIVE IN TOKYO"
La critique se demandera toujours s’il y a eu un avant et un après « Live in Tokyo ». A l’évidence, cet album marque une étape dans le choix du groupe de se raconter. Tendance fâcheuse et narcissique pour certains, nécessaire et ultime pour d’autres. En découle « La Matière », dont la programmation, qui peut paraître parfois très inspirée, traduit une volonté du groupe de se retourner sur sa création. Toute mythologie est faite de ces retours en arrière, mais aux dépens souvent de l’esprit d’aventure et de la nouveauté. JUDOKA n’échappe pas aux canons de cette narration mythologique. Tel Sodome qui, accomplissant sa destinée, ne doit plus se retourner en arrière au risque de se voir changé en statue de sel et condamné à un eternel immobilisme. Un peu comme une route longue et sinueuse, dont le profilement aurait moins de sens que ce qui se passe derrière : a « Lost Highway ». Une route perdue devant car l’essentiel est dans le rétroviseur de son histoire. JUDOKA se retourne. Et quoi ? Il en ressort comme une nostalgie des racines, sorte de blues rocailleux et sec, qui sent l’angine et le sel ou la mauvaise toux grippée dans la gorge ou le vilain retour de cuite, au choix. « Sous la neige » tombe alors. Lentement, plus surement. L’album est comme un fil qui re-noue avec le désir de re-venir vers l’avant. Avec de nouvelles idées. La voix du KA mûrit. « Le tapis » sonne. Les effets sont plus calculés et le désir se ressent de maîtriser les chutes comme un flocon, allant et revenant dans le vent. Mille retours et détours tourbillonnants qui trouvent leur prolongement dans « Cardinal Eleventh » ou la voix de l’ouverture. La voix d’avenirs incertains. Les chemins se diversifient, se ramifient, se cherchent et se superposent. Les essais sont fugaces, comme des esquisses : synthétiseurs, samplers, chorales. JUDOKA fait l’inventaire, sorte de bestiaire de tout ce qui lui est possible et de tout ce qu’il sait faire. Et JUDOKA invite. Comme une promesse, « VFondS » aime se perdre, se chanter, se raconter, se rire. Parfois vibrant, profond, granuleux, stellaire, jamais cynique. Il est à l’image de cet album, qui semble être aussi une nouvelle voie, celle « des sages » ? Comprenons ainsi le texte de ce titre, « elle hurle, c’est plus qu’un cri de l’au-delà ». L’au-delà de l’au-delà a un sens chez JUDOKA et c’est ce que le groupe aime vouloir atteindre. Ce fut, après « Live in Tokyo », le désir de se re-chanter, de se re-dire, de se re-nouer, « au-delà de ce qui était déjà au-delà » (dixit DO) d’une expérience de chant ou de narration des albums précédents. L’au-delà, aux dires de ceux qui est en reviennent, a une forme : c’est une lumière blanche et lointaine. Ici, ce sont trois points lumineux : « les Lumières Judokales ». Assurément, c’est comme si JUDOKA signifiait dans son dernier opus qu’il re-venait de loin. De son passé et de ses chimères, de ses illusions, du risque, en somme, destructeur, de vouloir se re-vivre tel qu’il fut dans sa Matière.